jeudi 28 février 2008

Soirée & Caricatures

La petite soirée dont je vous parlais hier s'est très bien passée, non seulement a-t-on été extraordinairement bien accueilli et offert un repas délicieux, on a en plus pu assister à un mini-concert de piano ;-). La maison se trouvait un peu en dehors de la ville, dans un quartier respirant une grande tranquillité, donc on y a été en taxi. Le retour en taxi a été des plus intéressants.

On était trois, une fille iranienne, un ami suisse et moi-même à prendre le même taxi vers l’université. Quand on est rentré dans le taxi et le chauffeur a compris qu’on était (à deux-tiers) étranger, il a prononcé une phrase disons « peu respectueuse ». Je souligne tt de suite que c’est la première fois que cela m’arrive, ne pensez pas que ce soit fréquent ici. La fille iranienne lui a tout de suite communiqué qu’il n’y avait pas de raison de se comporter ainsi vis-à-vis de nous, ce qui l’a calmé un peu. Par contre dés qu’elle est descendu du taxi (elle habite près de l’université, mais pas sur le campus comme nous) et qu’on se retrouvait seul avec le chauffeur, il reprenait son discours. « Vous êtes étudiants ? » Réponse affirmative. « Bien parce que là où vous me faites aller c'est pas pour les étrangers, c’est seulement pour les étudiants. » Bien, gentil le monsieur. Je lui demandais pourquoi il n’aimait pas les étrangers. « Vous venez d’où encore ? » il me demande en guise de réponse. « De la Belgique »… « La Belgique c’est proche du Danemark non ? » Ahhhhhhhhhh et voilà ce qui était le problème. Le monsieur ne connaissait rien de l’Europe, mais il avait entendu que la presse danoise avait réimprimé les caricatures de Mohammed, chose qui inspirait son inimitié à notre égard. Je me rappelais immédiatement d’un jeune homme au Caire, qui m’avait demandé des excuses pour les caricatures publiées par mon pays. Pas moyen de lui faire comprendre que un petit journal danois merdique (excusez-moi le mot) n’équivalait pas l’Etat belge.

La question des caricatures est compliquée. D’un côté les musulmans affirment que ces caricatures sont insultantes pour eux et leur religion. De l’autre beaucoup d’Européens pensent que ne pas publier ces caricatures est une limitation de la liberté de presse. Or, de deux choses l’une. Si les caricatures sont effectivement insultantes, alors il faut se demander si l’insulte est protégée par la liberté de presse. La réponse est clairement négative. Par contre s’il ne s’agit pas d’une insulte, mais d’une satire, alors une non-publication serait effectivement une limitation de la liberté de presse.

Vous voulez mon opinion ? Je trouve que les Européens sont hypocrites et que les musulmans devraient relativiser un peu. Ceux dans le monde musulman qui se sentent offusqués par ces caricatures devraient relativiser un peu et se rendre compte qu’il ne s’agit que d’un dessin idiot (pas très comique) fait par un illustre inconnu et publié dans un journal d’agitation. Il ne faut pas se fâcher avec l’Occident et son peuple à cause de la connerie d’une personne.

Les Européens sont hypocrites. Ainsi je n’ai pas entendu une seule voix danoise se lever contre la censure catholique quotidienne en Italie. Ainsi qui, au niveau européen, a défendu Maurizio Crozza quand le Vatican est intervenu pour interdire ses imitations du pape ? Personne. Quel journal danois a pris la défense du programme satirique français « les Guignols » quand des groupuscules catholiques intégristes ont dénoncé une imitation du berger allemand Ratzinger ? Quel journal a défendu le droit du comédien français Dieudonné d’imiter un rabbin juif ? C’est de l’hypocrisie pure et simple. Quand il s’agit de caricaturer l’Islam, la presse et les politiciens parlent de liberté d’expression. Par contre quand des gens tournent en dérision le catholicisme ou le judaïsme, cette même presse et ces mêmes politiciens semblent, dans le meilleur des cas, muets. Comme vous verrez dans la vidéo que je republie ici pour ceux qui ne l’ont pas encore vue, ces mêmes gens ont parfois même le courage de condamner « le manque de respect pour les sentiments religieux » ! http://www.dailymotion.com/video/x3khwj_liberte-dexpression-ditesvous_politics

Alors faut être clair : ou l’on accepte la satire ou non. Mais la permettre concernant l’Islam et pas concernant l’Eglise catholique est hypocrite. Promouvoir des caricatures de Mohammed, mais s’indigner des caricatures sur l’Holocauste l’est tout autant.

mercredi 27 février 2008

Bonnes Nouvelles

De très bonnes nouvelles… Je n’ai rien de particulier à dire, mais je suis content et je tiens à vous le communiquer. Non seulement on m‘a prolongé mon visa jusqu’à fin mai, mais en plus l’université a eu la gentillesse de me communiquer les dates de mes vacances du nouvel an !

Commençons par le visa. Après une attente interminable, on a décidé de le prolonger de trois mois, tandis que je n’avais demandé que 2 mois. Enfin on ne va pas se plaindre… Je peux donc théoriquement rester jusque fin mai.

En ce qui concerne mes vacances : :-) le nouvel an iranien, basé sur l’année solaire, tombe en général le premier jour du printemps. Cette année c’est le 20 mars. Il s’agit sans doute de la fête la plus importante de l’année. C’est comme si tout l’Iran voyageait pendant cette période. La seule ville à se vider est la capitale, un peu comme Paris au mois d’août. Personnellement j’ai presque deux semaines de congé. J’aurais donc le plaisir de retrouver mes amis à Téhéran et de voyager un peu avec eux.

Ce soir pour bien fêter l’événement (visa + vacances), on a prévu un dîner avec un groupe d’amis. La nourriture faite maison est d’ailleurs tjs une délicatesse et mon estomac se réjouit déjà. Lol, bon je sais ce n’est pas un post très utile ou informatif, mais personnellement je trouve cela des nouvelles plutôt importantes ;-)

lundi 25 février 2008

To Nuke or Not To Nuke...


Ca y est, El-Baradei a fait son nouveau rapport au Conseil de l’Agence atomique d’ONU (AIEA-IAEA) sur le programme nucléaire de l’Iran. En gros El-Baradei a dit des choses plutôt positives sur l’Iran. L'Iran semble collaborer pleinement avec l'agence et il n'y aucune preuve d'un quelconque programme nucléaire secret. Les Iraniens eux-mêmes sont plutôt contents du rapport. Je vous passe la belle photo du journal « Iran » en première page hier, le titre se traduit par: « Grande Victoire (concernant le) Nucléaire ». Les gens avec qui j’en ai parlé sont surtout fiers du fait que leur pays n’ait violé aucune règle et qu’un organisme international reconnaisse cela.

Par contre quand ils m'interrogent sur la réaction del'Occident, je dois les décevoir. Désavoué Mr. Solana, responsable des affaires étrangères européennes et connu pour ses grandes déclarations (svt inutiles d'ailleurs lol) s'est tu dans toutes les langues. Le gouvernement américain de son côté affirme: « Bon, l’Iran collabore et il n’y a aucune preuve d’un programme secret, mais il n’y pas de preuves non plus que l’Iran ne fabrique pas de bombe atomique ». En fait les US inversent la charge de la preuve. Ce n’est pas à eux de prouver que l’Iran ne respecte pas les règles, c’est à l’Iran de prouver qu’il les respecte. C’est un peu comme demander à l’accusé de prouver qu’il n’a pas commis le crime. La présomption d’innocence est transformée en présomption de culpabilité ! Et ce afin de pouvoir approuver d’autres sanctions… Mes amis ne comprennent pas : y a tt de même un rapport de l’ONU mnt qui dit que l’Iran n’a rien fait de mal ? Comment alors les US peuvent encore demander davantage de sanctions ? Je dois avouer que moi aussi je vois de moins en moins le rapport entre les sanctions et les rapports de l’Agence atomique.

samedi 23 février 2008

Ta'arof

Je ne sais pas très bien comment traduire ce mot, je crois que cela tient le milieu entre « les bonnes manières » et « la galanterie » ou « la courtoisie ». Il s’agit surtout d’un nombre interminable de formules de politesse dont on ne semble jamais se lasser. Par exemple, quand on rencontre quelqu’un l’on n’échange pas que le « salut comment allez-vous » dont on a l’habitude. Mais on y ajoute : « Comment allez-vous, vous allez bien ? Et vous-mêmes ? Quoi de neuf ? Rien, tout va bien ? Vous passez un bon moment ? Merci ». Ces quelques phrases répétées parfois deux, trois fois avant d’initier une vraie conversation ne sont que l’exemple plus simple du ta’arof. Il faut dire que ce qui nous apparaît comme une politesse exagérée est parfois très appréciable, ainsi on ne vous coupera rarement la parole et on ne se servira même pas le moindre bout de fruit, sans vous l’avoir offert en premier. Même dans les restaurants de base, où l’on mange tous à la même table entre hommes, avant d’initier on vous offrira le repas que l’on vient de recevoir du serveur. Inutile de dire que vous n’êtes pas censés accepter ! De la même manière quand vous venez d’acheter qque chose et le vendeur vous fait : « cela n’a pas de valeur » (= c’est gratuit), vous n’êtes pas censés quitter le magasin sans payer. Même pas quand il le répète différentes fois, en disant généralement « je vous invite » ou « vraiment allez-y ». Enfin si vous voulez surprendre…barrez-vous sans payer :-)

Une autre forme de ta’arof concerne céder le passage. Ainsi quand deux personnes veulent passer par la même porte, ils échangeront différents « s’il vous plaît, allez-y » et « non non, vous d’abord, j’insiste » avant que finalement qqu’un s’excusera comme s’il allait commettre le pire des crimes en passant par la porte. Imaginez-vous cette scène à laquelle j'ai assisté hier : trois hommes restant pendant 5 minutes (c’est long) devant l’entrée du restaurant avant de décider qui peut passer avant l’autre. Fallait établir les hiérarchies ! Cette habitude va même si loin qu’une fois qqu’un voulait me faire sortir en premier de l’ascenseur, gentil, sauf que ce n’était pas mon étage ! :-) A table les manières sont tout aussi élaborées, même si l’on m’a garanti qu’il y a 50ans c’était bcp « pire ». Ainsi une grand-mère m’affirmait que si, à son époque, comme hôte l’on ne prononçait pas les formules correctes (dont p.ex. le « cette nourriture n’est pas digne de vous ») personne n’aurait touché le repas !

Mais si le ta’arof est présent à bcp d’occasions, il est totalement, complètement et entièrement absent de la circulation routière où (il semble que) l’on préfère tuer l’autre plutôt que de se faire dépasser. Comme d’ailleurs il ne faut pas s’attendre à une qque courtoisie quand on fait la queue. Loin de là, il y aura tjs qqu’un qui dépassera tout le monde en affirmant dans le meilleur des cas qu’il n’a besoin que de très peu de choses ou que son frère est l’ami de l’oncle du marchand… ou, dans le pire des cas et le plus souvent, en ignorant complètement la queue ;-) J’ai une amie qui est particulièrement forte à ce niveau.

De la politesse exagérée l’on passe donc au manque total de ce que nous en Europe on considère un comportement respectueux… Faut suivre le pas et ne pas se tromper de situation ! ;-)

mercredi 20 février 2008

La politique

La politique est un sujet chaud chaud chaud ici. Dans le nord de Téhéran l’écrasante majorité me disait de ne pas avoir la moindre intention d’aller voter. Ni pour les élections parlementaires, ni pour les présidentielles de l’année prochaine. Pourquoi ? Ben selon eux cela ne change de toute façon absolument rien. La politique est un jeu et la population n’y aurait qu’un rôle très secondaire. Pour eux les élections ne servent qu’à légitimer le régime et duper le peuple. L’élection du président réformateur libéral Khatami en 1997 et sa réélection en 2001 n’auraient été que l’énième épisode de cette pièce de théâtre. Puis après la relative liberté donnée par Khatami, le régime aurait décidé de resserrer l’étau en promouvant Ahmadinejad…

Je comprends cette perception, surtout quand on ne se contente que de la chute pure et simple du système en place…mais le problème de cette théorie du complot est qu’elle passe sous silence les nombreuses contradictions à l’intérieur du régime. Ainsi en 1997 Khatami n’était pas le candidat des conservateurs (qui préféraient un conservateur d’extrême-droite Nateq-Nouri) et en 2005 l’élection d’Ahmadinejad a surpris les nombreux partisans de l’influent ex-président Rafsandjani. Khatami a été élu avec le soutien de la « société civile » contre l’establishment conservateur, Ahmadinejad avec les réseaux des Gardiens de la Révolution qui s’opposaient à certaines politiques de ces prédécesseurs. Puis la vie sous Khatami ou sous Ahmadinejad c’est tt de même pas pareil !

L’Iran est un pays pour celui qui aime les contradictions. Qqu’un me racontait comment sous Khatami, président de 97 à 05, beaucoup de nouveaux journaux souvent critiques étaient publiés et circulaient assez librement dans la société, une conséquence de la politique de libéralisation culturelle de Khatami. Mais des forces à l’intérieur du régime s’opposaient farouchement à cette ouverture et vu que ces forces contrôlaient entre autres la police et les tribunaux, les journalistes critiques et leurs publications se faisaient souvent arrêter et condamner. Ainsi une situation paradoxale se créait : d’une part il était plus facile de commencer un journal, d’écrire et de faire circuler des textes critiques, mais d’autre part on risquait toujours la prison. On voyait donc émerger une situation avec plus de publications critiques et plus de journalistes condamnés. Mais pendant que leurs auteurs se trouvaient en prison, les textes « condamnés » circulaient bel et bien. Souvent ces journalistes étaient ensuite libérés, reprenaient leur travail, éventuellement pour se faire recondamner après. Certes, de cette manière le nombre de journalistes emprisonnés était assez important, ce qui fournit toujours de belles statistiques à Amnesty, mais cela ne signifie en rien que l’Iran peut être comparé à d’autres pays de la région, alliés de l’Occident, où la publication d’un journal critique est tout simplement impossible.

Je sais je sais c’est du compliqué…mais je vous promets : c’est pas de ma faute :-)

lundi 18 février 2008

Censorship and Embargo

J'ai passé une belle soirée, mais là je lutte avec mon pc... et donc de mauvaise humeur... On parle souvent de la censure d’internet de la part du gouvernement iranien. Elle existe, c’est vrai (mais on a plein de programmes pour la contourner facilement). Hier par contre quand mon PC me disait que le nouveau Javascript était prêt, j’ai essayé de télécharger mon Java Update… Le Message de Java n’avait pas grand chose à faire avec le gvt iranien: Export Control : The Java™ cannot be downloaded to your machine. You are located in an embargoed country

Un pays sous embargo… chiant ça… enfin pas tellement pour mon Java mais pour les gens ici pas drôle. J’ai déjà parlé des sanctions, sur le site du ministère belge des affaires étrangères on peut lire que… « Les compagnies aériennes iraniennes n'ont pas bonne réputation en ce qui concerne la sécurité. Ceci a été illustré une fois de plus lors du crash d'un avion qui a eu lieu le 27/11/06. La situation est due au vieillissement de la flotte, l'entretien laissant à désirer et l'embargo américain sur les pièces de rechange pour les appareils. »

Alors je veux bien que l’on traite l’Iran de « pays pas bien », mais le pays qui impose des sanctions causant des crashs aériens est un tout petit peu assassin non ? Enfin remarque, vaut toujours mieux ça qu’abattre directement les avions de ligne, comme l'armée américaine faisait en 1988 avec le vol Iran Air 655, causant la mort de 290 passagers, dont 66 enfants. Vous me direz les sanctions inspirées par les USA contre l’Irak entre 1992 et 1999 ont coûté la vie à plus de 500.000 d’enfants… donc même dans le crime tout est relatif… :-S

dimanche 17 février 2008

Moment téhéranais

Téhéran est une ville frénétique, plus que son cœur on risque d’y perdre la patience (mais mieux vaut ne rien perdre du tout). Les embouteillages interminables de la ville mettraient à l’épreuve la patience du Bouddha en personne. Vous aurez compris, je vous écris rapidement (de la gare) de Téhéran en attendant le « night-train to Esfahan ». Appréciez l'effort pcq à la télé de la gare il y a du foot: Juventus-Roma...

Passées les festivités révolutionnaires, je me suis permis un long weekend dans le nord de Téhéran pour aller voir une amie. Partie richissime de Téhéran où le mélange entre Orient et Occident qui anime les foyers ferait fondre le plus froid des cœurs. La fascination rend aveugle ;-)

Juste après la révolution un habitant de cette partie de la capitale racontait : « vivre dans ‘notre Téhéran’ n’était pas très différent de vivre dans une ville européenne ; nos maisons, nos bureaux, nos vêtements, les écoles de nos enfants, nos restaurants et surtout nos comportements étaient des copies conformes de la version occidentale. Donc, on avait rarement l’occasion ou l’envie de visiter le sud de la ville. ».[1] A ce niveau très peu a changé. Sans traverser aucune frontière j’ai quitté la République islamique pour arriver dans un pays où l’on vit au rythme de l’Europe; où l’on organise des fêtes bien arrosées ; où l’on connaît le prix d’un policier et de la tranquillité ; où l’on voit des filles non pas avec un voile « mal-ajusté » mais même parfois rapidement, et en dépit de la loi, sans voile ; où l’on refuse le vote pcq ce régime n’est pas le sien et d’où le sud de la ville (pauvre et plus religieux) semble un autre monde qu’on évite volontiers. Seule la grande hospitalité et la fierté d’être iranien continuent à te rappeler que tu es bien en Iran ;-)

Petite anecdote: hier j’ai appris que mon vol de retour vers l’Europe a été annulé. Faut en trouver un autre. Du coup pour l’instant je me trouve au Moyen-Orient sans passeport (perdu entre université et police) ; sans visa (extension se fait attendre) et sans vol de retour… Cela semble assez problématique, on fera appel au bon Dieu :-))) Comme qqu’un me disait : c’est peut-être ton ghesmat (destin) de rester ici… Moi entre-temps je me réjouis du but de Del Piero... Juventus 1 Roma 0 :-)

[1] J'ai lu ça dans T. McDaniel, "Autocracy, Modernisation and Revolution in Russia and Iran", Princeton University Press, 1991, p.131

mardi 12 février 2008

Series: The Revolution: 4. Discussions fleuresques...

Une des filles qui nous avaient accostés dans le Resto U. (voir le post Al-Taqiyya), porteuse d’un nom fleuresque, m’a inspiré ce post qui conclue la série sur la révolution. Elle incarne bcp des contradictions de l’Iran révolutionnaire 29 ans après la révolution.

A cause de son long habit noir, qui la couvrait de la tête aux pieds, on la qualifierait à première vue de « conservatrice ». Pourtant quand elle enlevait ce long bout de tissu, la fille qui s’asseyait à côté de moi se transformait. Un jeans très « slim fit », des chaussures à talons et une petite veste très design avec chemise assortie. Je comprenais sur le champ que le long tissu noir n’était qu’une façon d’éviter des emmerdements de la police. D’ailleurs si l’on regardait bien, même l’habit noir présentait des détails modieux comme le bout des manches en dentelle noire. Encore une fois j’apprenais à ne pas me fier aux apparences.

Dans le bus, on violait un peu la ségrégation hommes-femmes, elle m’interrogeait sur la Révolution française et son influence sur la littérature et la philosophie européenne. Question rare dans les bus de Bruxelles. En faisant appel à qques connaissances historiques lointaines, je lui parlais de Voltaire, de Montesquieu et de Rousseau. De comment la Révolution française avait libéré le peuple de France du joug royal et proclamé l’égalité des citoyens devant la loi et comment ensuite la restauration avait porté au pouvoir Napoléon. Comment ce dernier avait utilisé les idéaux universalistes de la Révolution française pour conquérir l’Europe. Elle lançait une comparaison avec la Révolution iranienne. Révolution qui avait-elle aussi visé la libération du peuple du joug royal en partant des idées de philosophes illuminées comme Chari’ati et Khomeini. Puis, comme en France, en Iran aussi, certaines personnes avaient trahi les idéaux de la révolution (et la vraie pensée de Khomeini).

Comme souvent on en arrivait à parler de mariage, elle m’expliquait franchement que la voiture, la maison, le job et la famille du gars étaient prioritaires. Tout comme une bonne éducation : elle a une éducation universitaire et son mari doit être à la hauteur. Ce n’était pas la première fois que je l’entendais. Bien qu’elle ne veuille pas se marier tout de suite, elle ne refuserait pas « a good case » (une bonne occaz). En gros la proposition globale devait être intéressante, comme lors de négociations contractuelles. Frappant comment le futur mari était en premier lieu considéré comme qqu’un qui peut garantir un certain bien-être matériel. Etait-ce le but d’une révolution qui prétendait rejeter le matérialisme ? Beaucoup de filles, srtt en ville, ont une check-list claire pour évaluer le gars qui veut sortir avec elle. Le mariage est tjs derrière le coin et ça ne sert à rien de perdre son temps avec des candidats inaptes. Autant clarifier tt de suite. Au début je m’étonnais de la franchise et du matérialisme, mais à la fin est-ce si différent chez nous ? On le dit moins franchement, mais…

Mais ne pensez pas qu’elles veulent toutes se marier avec un Européen pour quitter le pays ! En l’occurrence la fille voulait bien voyager, elle rêvait de l’Italie, mais elle voulait faire sa vie en Iran et son futur mari, occidental ou non, n’avait qu’à l’accepter… Les femmes dans l’Iran islamique, bien éduquées, savent ce qu’elles veulent et sont assez déterminées à l’obtenir. :-)

lundi 11 février 2008

Series: The Revolution: 3. Le Grand Jour

Un jour de congé le 22 Bahman (11 février) , mais on s’est tt de même levé plutôt tôt. Jour de la capitulation des troupes royalistes en 1979, la manif commençait vers 10h dc fallait y être pour 9h30 tt de même. Le début était prometteur, en descendant du bus on est accueilli par des haut-parleurs qui incitent « les sœurs » à manifester d’un côté et « les frères » d’un autre. Certains groupes organisés semblent respecter ces indications, mais la grande majorité profite de cette belle journée ensoleillée pour se promener en famille. On passe des stands où l’on distribue de la nourriture gratuite. Les gens se battent pour décrocher un plat. Pendant que les haut-parleurs répètent les slogans « Mort à l’Amérique », « Mort à Israël » et « Mort à l’Anglais », un homme m’apporte un chocolat chaud. Un autre, manifestement de l’organisation, dit Hezbollahi, m’accoste : « Vous êtes anglais ? » La réponse négative de ma part nous soulage tous les deux. « Vous prenez des photos pour un journal ? Vous êtes journaliste ? » Une autre réponse négative détend davantage encore l’atmosphère. « Vous travaillez pour votre gouvernement ? ». Et non, je ne suis qu’un étudiant de l’université d’Esfahan. Rassuré, l’homme me souhaite le bienvenu en Iran.

Ma présence attire énormément de curiosité. Rapidement d’autres personnes m’entourent et me demandent de les prendre en photo, souvent ils veulent connaître mon avis sur les USA ou sur la révolution. D’autres ne demandent rien et m’expliquent le sens de la révolution. Quand j’observe que les slogans sont fort peu religieux, mais surtout anti-USA, anti-impérialistes, qqu’un me répond : « mais c’est ça l’Islam : la libération et l’indépendance des USA ». Un professeur d’un lycée me demande si je veux bien venir donner une heure de cours d’anglais dans son lycée. Comment refuser ?

Les femmes, majoritairement en tchador, gardent généralement leurs distances. Le public ici est conservateur et majoritairement pro-gouvernemental. Deux jeunes filles me demandent quand-même si je veux bien poser avec une pancarte « mort aux USA »… Vous vous imaginez ma réponse. A la place centrale d’Esfahan la manif se transforme en piquenique géant avec comme arrière-fond les belles coupoles bleues et le slogan : « L’Amérique ne sait rien nous faire ». Une petite glace pour commémorer la chute du chah, qques nouveaux amis, une belle journée. Loin du fanatisme que je m’imaginais inconsciemment.

Pendant qu’on s’éloigne, un père de famille s’adresse à moi. Il me demande entre autres si je suis musulman. J’affirme être chrétien. « Pourquoi tu ne te convertis pas ? Tu parles déjà persan, c’est un premier pas. » Puis c’est tellement mieux d’être musulman, t’arrives plus rapidement au paradis. Facile de le devenir : si je veux il m’accompagne à la mosquée et on arrange ça. Il se marre bien… je m’en sors avec un « deux religions, deux voies vers un seul Dieu ». Réponse persane s’il en est.

Après un passage dans le resto luxueux de l’hôtel Abbasi, dont je vous parlais précédemment, en présence d’une compagnie plutôt occidentalisée, on se concède
une petite promenade le long du fleuve et des ponts historiques merveilleusement illuminés. Un décor fort romantique pour conclure en beauté cette riche journée.


samedi 9 février 2008

Series: The Revolution: 2. The Revolution televised

Depuis le début de ces 10 jours la télévision iranienne n’arrête pas de passer en revue les images de la révolution de 79. Des manifestations initiales au retour de Khomeini en passant par toutes les grandes étapes de la révolution, après chaque émission on voit un tit bout d’histoire.

Un passage que l’on voit souvent montre le peuple iranien dans la rue en chantant : « Mort au chah », mais plus que le slogan c’est le rythme, presque rock ‘n’ roll, qui est intéressant. Nénéné nénéné nèh-nèhnèh. Chanter « mort au chah » si allègrement me paraît bizarre, mais montre aussi toute l’énergie et l’espoir libérés lors de la révolution.

Un des montages qui me plaît le plus est celui où l’on voit d’abord le chah saluer ses ministres et ses généraux dans un décor somptueux (les palais du chah ne reflétaient pas vraiment la vie quotidienne des Iraniens). L’on voit tous ces fidèles du despote s’incliner l’un après l’autre devant sa majesté le roi, le très haut, le roi des rois… Puis les caméras se déplacent vers l’extérieur du palais. Vers l’Iran du peuple, vers les rues, les quartiers,… où le peuple manifeste pour ses revendications politiques (changement de manager, expulsion des managers étrangers, liberté d’expression, fin de la loi martiale, etc.) et ses demandes strictement économiques (salaires, durée de travail, vacances).

Le passage est merveilleux pour beaucoup de raisons, mais il y en a une qui est particulièrement intéressante. Vous souvenez-vous de la reine de France avant la révolution de 1789 ? Elle était si loin de la réalité du peuple de France que quand on lui disait que le peuple n’avait plus de pain et se révoltait, elle aurait répondu : « ben qu’ils mangent de la brioche ». Quand on voit le chah d’Iran dans son palais avec ces fidèles… comment peut-on ne pas voir la comparaison entre ce despote avec ses palais somptueux et le roi de France à Versailles ? Comment ne pas voir la différence entre les privilèges de cette élite et les revendications du peuple ? Loin de l’Islam ou du fondamentalisme…la révolution iranienne va compris dans ce sens : Un peuple qui se lève pour revendiquer ses droits.

Par contre… si la télévision iranienne défend justement la révolution et les revendications populaires en 1979… je n’ai pas compris la pancarte suivante que j’ai trouvé, anno 2008, sur un bâtiment officiel. Alors…la rébellion c’est bien ou pas ? C’est islamique ou pas ?

jeudi 7 février 2008

Series: The Revolution: 1. Introduction



J’ai scandaleusement oublié de le mentionner mais depuis le premier février l’Iran est un peu en fête. La période de dix jours (daheje fodjr) entre le 1 février (12 Bahman) et le 11 février (22 Bahman) couvre en effet la période de l’anniversaire de la révolution. Entre le 1 février 1979 (retour en Iran de l’Imam Khomeini) et le 11 février (défaite définitive des partisans royalistes) l’Iran déploie différentes activités, comme le Festival international du Film avec entre autres des films allemands, grecs et asiatiques, pour fêter l’événement. La décoration dans les rues ( drapeaux, pancartes et toiles) montre le + svt l’Imam Khomeini, visage de la révolution islamique, et l’ayatollah Khamenei (Guide suprême de l’Iran ajd). Pour marquer un peu les derniers jours de l’événement je vous fais une petite série sur la révolution iranienne.

Commençons par le début… les événements essentiels. En 1978 la population iranienne commence à bouger contre le régime du chah. La position du chah (monarque absolu, jamais élu par les Iraniens et surtout connu pour les excès de son terrible service secret (SAVAK)) commence à vaciller rapidement. Même les USA, alliés fidèles du despote, se rendent compte que la position du chah est devenue intenable. Les USA sentent qu’ils sont en train de perdre l’Iran.

D’importants mouvements nationalistes, laïcs, communistes, socialistes, islamo-marxistes jouent un rôle dans la révolution. Quand la fin du régime royaliste est proche, la France, où Khomeini s’était exilé, lui offre un avion pour rentrer en Iran (février 79). Le retour de Khomeini en Iran est triomphal.

A cause de la force de l’extrême-gauche dans la révolution, immédiatement après la révolution certaines mesures de gauche sont prises. Ainsi des conseils d’ouvriers sont formés et commencent à assurer la gestion de leurs usines. En juin 1979, 28 banques sont nationalisées, un mois plus tard on nationalise l’industrie métallurgique. L’état révolutionnaire confisque aussi les biens de 51 des plus importants industriels pro-chah.

Mais à la dimension socio-économique, Khomeini et le clergé ajoutent une dimension religieuse, qui ne prendra toutefois définitivement le dessus que qques mois après la révolution, quand le rapport des forces sera favorable aux religieux. C’est alors que la révolution iranienne se transforme en révolution islamique et cléricale…la gauche marxiste et les nationalistes laïcs passeront à la trappe, mais le caractère anti-US de la révolution est maintenu.

Et voilà plus bref et synthétique que ça, y a pas ;-)

mercredi 6 février 2008

Deux brèves...

  • Il paraît qu’en Europe on parle bcp de deux sœurs condamnées à mort par lapidation ici en Iran. Elles ont été condamnées pour adultère, crime majeur en Iran. Leur avocate prétend qu’il n’y avait pas suffisamment de preuves. Deux, trois personnes m’ont demandé mon avis. Bon…difficile, j’étais pas au procès, mais il va sans dire que je suis contre la lapidation. D’ailleurs je suis à cet égard en bonne compagnie pcq le clerc Mahmoud Hashemi Shahroudi, qui se trouve à la tête du système judiciaire iranien depuis 1999, a proclamé un moratoire sur les lapidations en 2002 (ce moratoire a été violé une fois depuis, ce qui a donné lieu a d’énormes polémiques). Récemment, le même Shahroudi a aussi limité les exécutions publiques. Faisons attention à ce que les médias nous racontent, un exemple: Pièges à la Une.

  • La Turquie a aboli l’interdiction du voile dans les universités. Ici en Iran on le considère comme une revanche de l’Islam. Le gvt turc prétend agir en défense de la liberté de religion et pour éviter que des filles voilées se détournent de l'éducation supérieure. Ajd deux femmes turques sur trois sont voilées. La majorité des Turcs a voté pour un parti très peu laïc. Pourquoi et comment des décennies de sécularisme imposé ont pu mener à cela ? En réalité plus que d’une revanche de l’Islam, il s’agit peut-être de problèmes socio-économiques jamais résolus par les partis dits laïcs. Comment faire mnt que la laïcité et son garant (l’armée) s’opposent au choix démocratique d’une grande partie de la population turque ? Le choix ajd est-il entre une Démocratie islamique et une Laïcité militaire ? M’y connais po dc je vous conseille l’article de N. Kadritzke « La société entre l’armée et les islamistes » dans le Monde diplo de janvier 2008 (d’ici peu dispo sur le site http://www.monde-diplomatique.fr/ ).

lundi 4 février 2008

al-Taqiyya

Le concept de « al-Taqiyya », surtout utilisé par les chiites, vient de l’arabe et se traduit par « dissimulation ». L’idée est de cacher ses vraies convictions ou sa foi afin d’éviter les persécutions des régimes dictatoriaux (généralement anti-chiites). Cette justification religieuse du pragmatisme m’a tjs intrigué. J’y ai repensé récemment de manière involontaire quand je me suis rendu compte combien les paroles et les apparences peuvent être trompeuses dans l’Iran contemporain. Pour l’illustrer vais vous raconter deux histoires de ma vie quotidienne ici. Les voies de mon cerveau étant souvent impénétrables, il n’y a probablement aucun lien avec ce qui précède, mais soit :-)

D’abord une expérience faite à l’institut d’anglais. Lors d’une discussion sur les règles de l’Islam qqu’un m’expliquait qu’en Islam serrer la main d’une personne de l’autre sexe est considéré comme « not done ». Toutes les filles de la classe semblaient bien d’accord avec ce point de vue. La raison semble être qu’en serrant la main d’une personne on peut « échanger de l’énergie » ce qui peut mener à qui sait quoi… Personnellement j’ai tjs pensé que les yeux sont bien plus utiles « aux échanges énergétiques » entre filles et garçons, mais cela n’engage que moi :-) De toute façon…nonobstant ce discours théorique et presque officiel, à la fin du cours 6 filles sur 7 m’ont cordialement serré la main, pcq bon faut pas exagérer non plus dans la vie… On m’avait expliqué la théorie, mnt on passait à la pratique ;-)

Deuxième histoire: je viens de manger au Resto U. avec un pote français. On avait à peine fini notre repas que deux filles, dont une en tchador (apparence qui serait théoriquement signe de conservatisme religieux), nous accostaient : « Ah vous parlez français… nous on est dans la faculté de littérature anglaise, mais on parle un peu français aussi… » Elles avaient eu de la chance : toutes les deux d’Isfahan, elles avaient, après le « concours », été acceptées à l’université ici. Le concours (= examen d’entrée national) est très difficile et quand on le réussit et on est accepté par une université…l’on accepte généralement peu importe l’université, même si cela implique se déplacer vers l’autre bout du pays. On a parlé une tite demi-heure au milieu du resto, puis elles ont décidé de nous inviter à leur cours demain, question qu’on rencontre leur compagnons de classe.

Je conclurai avec un appel à la pitié : j’ai eu le malheur de parler avec une de mes profs de la Révolution constitutionnelle iranienne de 1906-07, qui introduisait pour la première fois une constitution en Iran. Cette constitution, tjs la base de la constitution actuelle, est en grande partie basée sur le modèle de la constitution belge. Ma prof m’a donc apporté un tit livre avec la constitution et des commentaires de droit constitutionnel (en persan cela va de soi). Si je voulais bien le lire et donner mon avis d’ici la semaine prochaine. Par esprit du défi je m’y suis mis… Je vous tiens au courant…Ayez pitié de votre serviteur…

dimanche 3 février 2008

Débats presque économiques...

Avant mon départ j’écrivais que l'opinion publique iranienne n’existe probablement pas... Chez nous en Belgique on accepte que différentes personnes aient des opinions différentes, mais quand on regarde un autre pays on a tendance à penser que tous ses citoyens pensent de la même manière et pourtant...

Un taximan racontait à un de mes collègues hier toutes les bonnes choses qu’Ahmadinejad avait selon lui fait pour l’Iran. Grosso modo le taximan parlait d’une redistribution des richesses. Son discours semblait assez social et de gauche. De quelqu’un d’autre j’entendais qu’Ahmadinejad avait entre autres limité les plages privées des riches et essayé d’obliger certaines entreprises à partager leurs profits avec leurs employés (saham-e edalat). Une bonne amie me disait cependant que ces mesures étaient largement symboliques et que la hausse du taux d’inflation due à la politique économique du président inquiétait les grandes masses de la population. Des opinions différentes et argumentées.

Les débats ici sont souvent en premier lieu d’ordre économique. Même si les privatisations ne se sont pas arrêtées, la politique économique d’Ahmadinejad a essayé de rompre partiellement avec l’héritage du président Rafsandjani (89-97). Ce dernier voulait faire évoluer l’Iran vers un modèle économique capitaliste plus classique. Cependant, si les riches s’enrichissaient beaucoup, la situation des très pauvres ne s’améliorait guère. Du coup en 1995 Rafsandjani a dû réintroduire les subventions étatiques pour les produits de base. Encore aujourd’hui les Iraniens ont droit mensuellement à une certaine quantité de produits essentiels (comme le lait) à très bas prix et ce grâce aux subventions étatiques.

Nonobstant les conséquences négatives de certaines mesures gouvernementales, une partie des Iraniens considère que la politique gouvernementale avait au moins des bonnes intentions. Notez que ces mesures sociales au niveau économique ont été accompagnées par un renforcement des contrôles sur la morale islamique (« Mademoiselle, rappelez-vous des règles vestimentaires de la République islamique »). L’idée de base est sans doute de faire coïncider la morale islamique avec des mesures socio-économiques populaires et faire penser que l’Islam se trouve à la base de ces mesures sociales. En simplifiant, on pourrait dire que le gouvernement veut arriver à l’analogie : « plus de tchadors = plus de bien-être! » :-)))

People Picture Time!
























Un remerciement particulier à mon photographe-manager N. Evidemment toutes les photos apparaissant sur ce site sont copyleft :-)